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rugit son langage éternellement semblable. Il y a dans le style de Théophile Gautier une justesse qui ravit, qui étonne, et qui fait songer à ces miracles produits dans le jeu par une profonde science mathématique. Je me rappelle que, très-jeune, quand je goûtai pour la première fois aux œuvres de notre poète, la sensation de la touche posée juste, du coup porté droit, me faisait tressaillir, et que l’admiration engendrait en moi une sorte de convulsion nerveuse. Peu à peu je m’accoutumai à la perfection, et je m’abandonnai au mouvement de ce beau style onduleux et brillanté, comme un homme monté sur un cheval sûr qui lui permet la rêverie, ou sur un navire assez solide pour défier les temps non prévus par la boussole, et qui peut contempler à loisir les magnifiques décors sans erreur que construit la Nature dans ses heures de génie. C’est grâce à ces facultés innées, si précieusement cultivées, que Gautier a pu souvent (nous l’avons tous vu) s’asseoir à