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me fit remarquer que les poètes en question se permettaient trop souvent des sonnets libertins, c’est-à-dire non orthodoxes et s’affranchissant volontiers de la règle de la quadruple rime. Il me demanda ensuite, avec un œil curieusement méfiant, et comme pour m’éprouver, si j’aimais à lire des dictionnaires. Il me dit cela d’ailleurs comme il dit toute chose, fort tranquillement, et du ton qu’un autre aurait pris pour s’informer si je préférais la lecture des voyages à celle des romans. Par bonheur, j’avais été pris très-jeune de lexicomanie, et je vis que ma réponse me gagnait de l’estime. Ce fut justement à propos des dictionnaires qu’il ajouta « que l’écrivain qui ne savait pas tout dire, celui qu’une idée si étrange, si subtile qu’on la supposât, si imprévue, tombant comme une pierre de la lune, prenait au dépourvu et sans matériel pour lui donner corps, n’était pas un écrivain. » Nous causâmes ensuite de l’hygiène, des ménagements que l’homme de lettres doit à son corps et de sa sobriété