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devenir tout à fait populaire, ne faut-il pas consentir à mériter de l’être, c’est-à-dire ne faut-il pas, par un petit côté secret, un presque rien qui fait tache, se montrer un peu populacier ? En littérature comme en morale, il y a danger, autant que gloire, à être délicat. L’aristocratie nous isole.

J’avouerai franchement que je ne suis pas de ceux qui voient là un mal bien regrettable, et que j’ai peut-être poussé trop loin la mauvaise humeur contre de pauvres philistins. Récriminer, faire de l’opposition, et même réclamer la justice, n’est-ce pas s’emphilistiner quelque peu ? On oublie à chaque instant qu’injurier une foule, c’est s’encanailler soi-même. Placés très-haut, toute fatalité nous apparait comme justice. Saluons donc, au contraire, avec tout le respect et l’enthousiasme qu’elle mérite, cette aristocratie qui fait solitude autour d’elle. Nous voyons d’ailleurs que telle faculté est plus ou moins estimée selon le siècle, et qu’il y a dans le cours des âges