Page:Baudelaire - Petits poëmes en prose, Conard, 1926.djvu/175

Cette page n’a pas encore été corrigée

MADEMOISELLE BISTOURI. 163

me voir, viens me voir souvent. Et avec moi, ne te gêne pas ; je n’ai pas besoin d’argent.» Mais tu comprends que je lui ai fait entendre ça par une foule de façons ; je ne le lui ai pas dit tout crûment ; j’avais si peur de l’humilier, ce cher enfant ! — Eh bien ! croirais-tu que j’ai une drôle d’envie que je n’ose pas lui dire ? — Je voudrais qu’il vînt me voir avec sa trousse et son tablier, même avec un peu de sang dessus ! »

Elle dit cela d’un air fort candide, comme un homme sensible dirait à une comédienne qu’il aimerait : «Je veux vous voir vêtue du costume que vous portiez dans ce fameux rôle que vous avez créé. » Moi, m’obstinant, je repris : «Peux-tu te souvenir de l’époque et de l’occasion où est née en toi cette passion si particulière ?»

Difficilement je me fis comprendre ; enfin, j’y parvins. Mais alors elle me répondit d’un air très-triste, et même, autant que je peux me souvenir, en détournant les yeux : «Je ne sais pas... je ne me souviens pas. »

Quelles bizarreries ne trouve-t-on pas dans une grande ville, quand on sait se promener et regarder ? Le vie fourmille de monstres innocents. — Seigneur, mon Dieu ! vous, le Créateur, vous, le Maître ; vous qui avez fait la Loi et la Liberté ; vous, le souverain qui laissez faire, vous, le juge qui pardonnez ; vous qui êtes plein de motifs et de causes, et qui avez peut-être mis dans mon esprit le goût de l’horreur pour convertir mon cœur, comme la guérison au bout d’une