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plices. Chacun s’abandonna, sans inquiétude, aux voluptés multipliées que donne la vue d’un chef-d’œuvre d’art vivant. Les explosions de la joie et de l’admiration ébranlèrent à plusieurs reprises les voûtes de l’édifice avec l’énergie d’un tonnerre continu. Le Prince lui-même, enivré, mêla ses applaudissements à ceux de sa cour.

Cependant, pour un œil clairvoyant, son ivresse, à lui, n’était pas sans mélange. Se sentait-il vaincu dans son pouvoir de despote ? humilié dans son art de terrifier les cœurs et d’engourdir les esprits ? frustré de ses espérances et bafoué dans ses prévisions ? De telles suppositions non exactement justifiées, mais non absolument injustifiables, traversèrent mon esprit pendant que je contemplais le visage du Prince, sur lequel une pâleur nouvelle s’ajoutait sans cesse à sa pâleur habituelle, comme la neige s’ajoute à la neige. Ses lèvres se resserraient de plus en plus, et ses yeux s’éclairaient d’un feu intérieur semblable à celui de la jalousie et de la rancune, même pendant qu’il applaudissait ostensiblement les talents de son vieil ami, l’étrange bouffon, qui bougonnait si bien la mort. À un certain moment, je vis Son Altesse se pencher vers un petit page, placé derrière elle, et lui parler à l’oreille. La physionomie espiègle du joli enfant s’illumina d’un sourire ; et puis il quitta vivement la loge princière comme pour s’acquitter d’une commission urgente.

Quelques minutes plus tard un coup de sifflet aigu, prolongé, interrompit Fancioulle dans un de ses meil-