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monde s’échappait à chaque instant en cris de joie et de surprise ! Quant au Romain, enveloppé dans les pensées de son cœur, subjugué par sa mélancolie et plus encore par le sourire de son espérance, il regardait tout d’un œil étonné comme si c’eût été une vision. Il considérait les voûtes et les piliers éblouissants comme l’œuvre d’un magicien, et il prêtait l’oreille aux vagues échos de harpes et de flûtes, qui de temps en temps s’échappaient des salles les plus reculées, comme il eût écouté des chœurs montant des bosquets d’Élysée. Tout était délices profondes dans le cœur de l’amant, jouissance rêveuse, ébahissement muet d’un esprit soulevé et transporté par la puissance de l’imagination aux dernières perspectives du bonheur.

Le prêtre alors prit son chemin vers une retraite plus profonde et plus secrète. Sempronius le suivait, quand il sentit tout à coup Callias qui le tirait violemment en arrière. À la pâle lueur d’une lampe, il vit qu’il tirait à moitié son épée avec un signe non équivoque. Le Grec connaissait évidemment le danger de la foi asiatique : le lieu n’était peut-être qu’un coupe-gorge, propre à dévaliser et à tuer les gens. Sempronius sourit, comme si le présent et l’avenir lui étaient également indifférents, et s’enfonça dans les ténèbres. Le Grec fit une pause, puis, tirant entièrement son épée du fourreau, suivit lentement la trace de son entêté compagnon. Le passage était long et difficile ; à la fin, il s’abîmait dans une pente, et la lumière fut tota-