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bien la plus étrange aventure de ma vie dont je me souvienne ; écoutez-moi.

Mais, comme le Romain s’approchait pour écouter, l’esclave qui se tenait d’ordinaire dans le vestibule entra pour leur dire qu’une trirème de Rome venait d’aborder au Pirée, et qu’il y avait des lettres à bord pour tous deux.

— Vous voyez, dit Callias se levant en toute hâte, voilà ce que nous avons gagné à fuir les chaudes régions de la Campanie ; pas un de mes mille amis ou courtisans n’aurait eu l’aimable idée de m’écrire au pied du Vésuve.

Callias se retira dans son cabinet pour parcourir les précieux documents qui lui arrivaient de la reine des cités sur tous les beaux, les oisifs et les fous qu’il y avait laissés. Sempronius se mit à rêver en considérant les riches reflets d’un soir de la Grèce sur la noble architecture du Pirée. La Grèce, le soir, Athènes, ont toujours été des sources poétiques chères aux faiseurs de romans depuis qu’Athènes existe, et depuis qu’elle a un nom. Sempronius était amoureux ; ceci implique un millier de fantaisies ; il était, de plus, malheureux, désappointé, bref, un amant sans espoir, — l’amant d’un rêve, — une passion de visionnaire, séparée des régions de l’espérance par des barrières infranchissables. Il était amoureux d’un être aussi idéal qu’un brillant habitant des nuées ; son amour était l’amour insensé d’un homme qui voudrait faire descendre Diane de la sphère où elle trône glorieusement sur le