Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/443

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ciant écumeur connu dans toutes les mers de plaisir de la Grèce et de l’Asie ; vous, ô Callias, phalène qui roulez de fleur en fleur à travers tous les jardins de la folie humaine, comment pourriez-vous croire à cette lassitude infinie, à ce dégoût profond de tout ce que la terre contient ? Mais vous êtes un animal épicurien.

— Non, mélancolique philosophe, vous vous trompez encore. Je suis un véritable Épicure ; délicat dans mes goûts, réservé dans mes accointances, tendre dans mes amitiés et mes amours, je ne suis cruel et dédaigneux que pour mes pauvres maisons de campagne ; et, de fait, le seul souci qui me tourmente pour le moment est de savoir si j’irai demain à ma villa sur les bords du Tibre, ou si je dois passer mes jours languissants dans la fraîche atmosphère de ma grotte, à Sunium, tant que durera le règne de cette amoureuse et pestilentielle étoile.

L’astre de Sirius se levait, et l’éclat que lançait ce roi des constellations teignait d’une vive splendeur tout le golfe de Naples. Les yeux du jeune et beau Romain dardaient sur la nature un regard des plus intenses, et il soupira plutôt qu’il ne dit :

— Oh ! que ne puis-je avec le désir secouer le poids de la vie, et prendre mon élan vers ces glorieux voyageurs de l’empyrée, aussi loin des soucis de notre monde qu’ils sont eux-mêmes loin des nuages impurs !

À ces mots, par un mouvement dont il n’eut pas la conscience, il tira hors de sa gaine un petit poignard