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n’avait rien de compromettant, et dont la familiarité n’excluait pas la dignité.

Samuel ne s’étonna point de retrouver un ancien amour de jeunesse asservi au lien conjugal. Dans l’histoire universelle du sentiment, cela est de rigueur. — Elle s’appelait madame de Cosmelly, et demeurait dans une des rues les plus aristocratiques du faubourg Saint-Germain.

Le lendemain il la trouva, la tête inclinée par une mélancolie gracieuse et presque étudiée, vers les fleurs de la plate-bande, et il lui offrit son volume des Orfraies, recueil de sonnets, comme nous en avons tous fait et tous lu, dans le temps où nous avions le jugement si court et les cheveux si longs.

Samuel était fort curieux de savoir si ses Orfraies avaient charmé l’âme de cette belle mélancolique, et si les cris de ces vilains oiseaux lui avaient parlé en sa faveur ; mais quelques jours après elle lui dit avec une candeur et une honnêteté désespérantes :

— Monsieur, je ne suis qu’une femme, et, par conséquent, mon jugement est peu de chose ; mais il me paraît que les tristesses et les amours de messieurs les auteurs ne ressemblent guère aux tristesses et aux amours des autres hommes. Vous adressez des galanteries, fort élégantes sans doute et d’un choix fort exquis, à des dames que j’estime assez pour croire qu’elles doivent parfois s’en effaroucher. Vous chantez la beauté des mères dans un style qui doit vous priver du suffrage de leurs filles. Vous apprenez au monde