Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/390

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il aspire toujours à réchauffer ses espérances et à s’élever vers l’infini. Mais il faut voir les résultats. Voici une liqueur qui active la digestion, fortifie les muscles, et enrichit le sang. Prise en grande quantité même, elle ne cause que des désordres assez courts. Voilà une substance qui interrompt les fonctions digestives, qui affaiblit les membres et qui peut causer une ivresse de vingt-quatre heures. Le vin exalte la volonté ; le haschisch l’annihile. Le vin est support physique ; le haschisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable ; le haschisch est isolant. L’un est laborieux pour ainsi dire, l’autre essentiellement paresseux. À quoi bon, en effet, travailler, labourer, écrire, fabriquer quoi que ce soit, quand on peut emporter le paradis d’un seul coup ? Enfin le vin est pour le peuple qui travaille et qui mérite d’en boire. Le haschisch appartient à la classe des joies solitaires ; il est fait pour les misérables oisifs. Le vin est utile, il produit des résultats fructifiants. Le haschisch est inutile et dangereux[1].



  1. Il ne faut mentionner que pour mémoire la tentative faite récemment pour appliquer le haschisch à la cure de la folie. Le fou qui prend du haschisch contracte une folie qui chasse l’autre, et quand l’ivresse est passée, la vraie folie, qui est l’état normal du fou, reprend son empire, comme chez nous la raison et la santé. Quelqu’un s’est donné la peine d’écrire un livre là-dessus. Le médecin qui a inventé ce beau système n’est pas le moins du monde philosophe.