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est bien élevé. On rit beaucoup ; car l’homme qui a pris du haschisch est, dans la première phase, doué d’une merveilleuse intelligence comique. Les éclats de rire, les énormités incompréhensibles, les jeux de mots inextricables, les gestes baroques continuent. Le musicien déclare que cette charge d’artistes est mauvaise, que d’ailleurs elle doit être bien fatigante pour les auteurs.

La joie augmente. « Cette charge est peut-être bonne pour vous, pour moi non, dit-il. — Il suffit qu’elle soit bonne pour nous, » réplique égoïstement un des malades. Des éclats de rire interminables remplissent la salle. Mon homme se fâche et veut s’en aller. Quelqu’un ferme la porte et cache la clef. Un autre se met à genoux devant lui et lui déclare en pleurant, au nom de toute la société, que si elle est émue pour lui et pour son infériorité de la plus profonde pitié, elle n’en sera pas moins animée d’une éternelle bienveillance.

On le supplie de faire de la musique, il se résigne. À peine le violon s’était-il fait entendre, que les sons qui se répandaient dans l’appartement empoignaient çà et là quelqu’un des malades. Ce n’étaient que soupirs profonds, sanglots, gémissements déchirants, torrents de pleurs. Le musicien épouvanté s’arrête, il se croit dans une maison de fous. Il s’approche de celui dont la béatitude faisait le plus de tapage ; il lui demande s’il souffre beaucoup et ce qu’il faudrait faire pour le soulager. Un esprit positif, qui lui non plus