Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/366

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gné, tout ce qu’elle a brisé, il le catalogue, il le collectionne. Il compulse les archives de la débauche, le capharnaüm des rebuts. Il fait un triage, un choix intelligent ; il ramasse, comme un avare un trésor, les ordures qui, remâchées par la divinité de l’Industrie, deviendront des objets d’utilité ou de jouissance. Le voici qui, à la clarté sombre des réverbères tourmentés par le vent de la nuit, remonte une des longues rues tortueuses et peuplées de petits ménages de la montagne Sainte-Geneviève. Il est revêtu de son châle d’osier avec son numéro sept. Il arrive hochant la tête et buttant sur les pavés, comme les jeunes poëtes qui passent toutes leurs journées à errer et chercher des rimes. Il parle tout seul ; il verse son âme dans l’air froid et ténébreux de la nuit. C’est un monologue splendide à faire prendre en pitié les tragédies les plus lyriques. « En avant ! marche ! division, tête, armée ! » Exactement comme Buonaparte agonisant à Sainte-Hélène ! Il paraît que le numéro sept s’est changé en sceptre de fer, et le châle d’osier en manteau impérial. Maintenant il complimente son armée. La bataille est gagnée, mais la journée a été chaude. Il passe à cheval sous des arcs de triomphe. Son cœur est heureux. Il écoute avec délices les acclamations d’un monde enthousiaste. Tout à l’heure il va dicter un code supérieur à tous les codes connus. Il jure solennellement qu’il rendra ses peuples heureux. La misère et le vice ont disparu de l’humanité !

Et cependant il a le dos et les reins écorchés par le