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une révélation féerique de la vie humaine, persistant dans les retraites sous-marines, à l’abri des tempêtes qui tourmentent notre atmosphère. » Bien des fois, avec son Noir Interprète, bien des fois en rêve il a visité la solitude inviolée de Savannah-la-Mar. Ils regardaient ensemble dans les beffrois, où les cloches immobiles attendaient en vain des mariages à proclamer ; ils s’approchaient des orgues qui ne célébraient plus les joies du ciel ni les tristesses de l’homme ; ensemble ils visitaient les silencieux dortoirs où tous les enfants dormaient depuis cinq générations.

« Ils attendent l’aube céleste, — se dit tout bas à lui-même le Noir Interprète, — et quand cette aube paraîtra, les cloches et les orgues pousseront un chant de jubilation répété par les échos du Paradis. — Et puis, se tournant vers moi, il disait : Voilà qui est mélancolique et déplorable ; mais une moindre calamité n’aurait pas suffi pour les desseins de Dieu. Comprends bien ceci… Le temps présent se réduit à un point mathématique, et même ce point mathématique périt mille fois avant que nous ayons pu affirmer sa naissance. Dans le présent, tout est fini, et aussi bien ce fini est infini dans la vélocité de sa fuite vers la mort. Mais en Dieu il n’y a rien de fini ; en Dieu il n’y a rien de transitoire ; en Dieu il n’y a rien qui tende vers la mort. Il s’ensuit que pour Dieu le présent n’existe pas. Pour Dieu, le présent, c’est le futur, et c’est pour le futur qu’il sacrifie le présent de l’homme. C’est pourquoi il opère par le tremblement de terre.