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pour une heure, nous vous apportons nos hommages réunis sur cet autel rendu au vrai culte ! — Voyez ! l’apparition cueille une anémone et la pose sur un autel ; elle s’agenouille, elle élève sa main droite vers Dieu. Elle est muette, il est vrai ; mais les muets peuvent servir Dieu d’une manière très-acceptable. »

Toutefois, vous penserez peut-être que ce spectre, accoutumé de vieille date à une dévotion aveugle, est porté à obéir à tous les cultes, et que sa servilité naturelle rend son hommage insignifiant. Cherchons donc un autre moyen pour vérifier la nature de cet être singulier. Je suppose que, dans votre enfance, vous avez subi quelque douleur ineffable, traversé un désespoir inguérissable, une de ces désolations muettes qui pleurent derrière un voile, comme la Judée des médailles romaines, tristement assise sous son palmier. Voilez votre tête en commémoration de cette grande douleur. Le fantôme du Brocken, lui aussi, a déjà voilé sa tête, comme s’il avait un cœur d’homme et comme s’il voulait exprimer par un symbole silencieux le souvenir d’une douleur trop grande pour s’exprimer par des paroles. « Cette épreuve est décisive. Vous savez maintenant que l’apparition n’est que votre propre reflet, et qu’en adressant au fantôme l’expression de vos secrets sentiments, vous en faites le miroir symbolique où se réfléchit à la clarté du jour ce qui autrement serait caché à jamais. »

Le mangeur d’opium a aussi près de lui un Sombre Interprète, qui est, relativement à son esprit, dans le