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d’opium aussi obstiné qu’il le fut, il leur lègue bien volontiers le sien. Certaines personnes riches de Rome commettaient l’imprudence, après avoir fait un legs au prince, de s’obstiner à vivre, comme dit plaisamment Suétone, et le César, qui avait bien voulu accepter le legs, se trouvait gravement offensé par ces existences indiscrètement prolongées. Mais le mangeur d’opium ne redoute pas de la part des médecins de choquantes marques d’impatience. Il sait qu’on ne peut attendre d’eux que des sentiments analogues aux siens, c’est-à-dire répondant à ce pur amour de la science qui le pousse lui-même à leur faire ce don funèbre de sa précieuse dépouille. Puisse ce legs n’être remis que dans un temps infiniment reculé ; puisse ce pénétrant écrivain, ce malade charmant jusque dans ses moqueries, nous être conservé plus longtemps encore que le fragile Voltaire, qui mit, comme on a dit, quatre-vingt-quatre ans à mourir[1] !

  1. Pendant que nous écrivions ces lignes, la nouvelle de la mort de Thomas de Quincey est arrivée à Paris. Nous formions ainsi des vœux pour la continuation de cette destinée glorieuse, qui se trouvait coupée brusquement. Le digne émule et ami de Wordsworth, de Coleridge, de Southey, de Charles Lamb, de Hazlitt et de Wilson, laisse des ouvrages nombreux, dont les principaux sont : Confessions of an English opium-eater ; Suspiria & profundis ; the Cæsars ; Literary reminiscences ; Essays on the poets ; Autobiographic sketches ; Memorials ; the Note book ; Theological essays ; Letters to a young man ; Classic records reviewed or deciphered ; Speculations, literaly and philosophic, with German tales and other narrative papers ; Klosterheim, or the masque ; Logic of political economy (1844); Essays sceptical and antisceptical on problems neglected or misconceived, etc. Il laisse non-