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(cette dernière hypothèse étant tout à fait improbable à cause de l’atmosphère de vérité qui plane sur tout l’ensemble et de l’accent inimitable de sincérité qui accompagne chaque détail), est un livre sans dénouement. Il y a évidemment des livres, comme des aventures, sans dénouement. Il y a des situations éternelles ; et tout ce qui a rapport à l’irrémédiable, à l’irréparable, rentre dans cette catégorie. Cependant je me souvenais que le mangeur d’opium avait annoncé quelque part, au commencement, qu’il avait réussi finalement à dénouer, anneau par anneau, la chaîne maudite qui liait tout son être. Donc le dénouement était pour moi tout à fait inattendu, et j’avouerai franchement que, quand je le connus, malgré tout son appareil de minutieuse vraisemblance, je m’en défiai instinctivement. J’ignore si le lecteur partagera mon impression à cet égard ; mais je dirai que la manière subtile, ingénieuse, par laquelle l’infortuné sort du labyrinthe enchanté où il s’est perdu par sa faute, me parut une invention en faveur d’un certain cant britannique, un sacrifice où la vérité était immolée en l’honneur de la pudeur et des préjugés publics. Rappelez-vous combien de précautions il a prises avant de commencer le récit de son Iliade de maux, et avec quel soin il a établi le droit de faire des confessions, même profitables. Tel peuple veut des dénouements moraux, et tel autre des dénouements consolants. Ainsi les femmes, par exemple, ne veulent pas que les méchants soient récompensés. Que dirait le public de nos