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mangeur d’opium, surtout quand il est dans son état parfait de jouissance. La foule est alors pour lui comme une oppression ; la musique elle-même a un caractère sensuel et grossier. Il cherche plutôt la solitude et le silence, comme conditions indispensables de ses extases et de ses rêveries profondes. Si d’abord l’auteur de ces confessions s’est jeté dans la foule et dans le courant humain, c’était pour réagir contre un trop vif penchant à la rêverie et à une noire mélancolie, résultat de ses souffrances de jeunesse. Dans les recherches de la science, comme dans la société des hommes, il rayait une espèce d’hypocondrie. Plus tard, quand sa vraie nature fut rétablie, et que les ténèbres des anciens orages tarent dissipées, il crut pouvoir sans danger sacrifier à son goût pour la vie solitaire. Plus d’une fois, il lui est arrivé de passer toute une belle nuit d’été, assis près d’une fenêtre, sans bouger, sans même désirer de changer de place, depuis le coucher jusqu’au lever du soleil ; remplissant ses yeux de la vaste perspective de la mer et d’une grande cité, et son esprit, des longues et délicieuses méditations suggérées par ce spectacle. Une grande allégorie naturelle s’étendait alors devant lui :

« La ville, estompée par la brume et les molles lueurs de la nuit, représentait la terre, avec ses chagrins et ses tombeaux, situés loin derrière, mais non totalement oubliés, ni hors de la portée de ma vue. L’Océan, avec sa respiration éternelle, mais couvé par un vaste calme, personnifiait mon esprit et l’influence qui