ger ; quelque argent est aussi donné à l’attorney pour l’indemniser de son hospitalité sans meubles ; quinze schillings sont employés à faire un peu de toilette (quelle toilette !) ; enfin la pauvre Ann a aussi sa part dans cette bonne fortune. Par une sombre soirée d’hiver il se dirige vers Piccadilly, accompagné de la pauvre fille, avec intention de descendre jusqu’à Salt-Hill avec la malle de Bristol. Comme ils ont encore du temps devant eux, ils entrent dans Golden-square et s’asseyent au coin de Sherrard-street, pour éviter le tumulte et les lumières de Piccadilly. Il lui avait bien promis de ne pas l’oublier et de lui venir en aide aussitôt que cela lui serait possible. En vérité c’était là un devoir, et même un devoir impérieux, et il sentait dans ce moment sa tendresse pour cette sœur de hasard multipliée par la pitié que lui inspirait son extrême abattement. Malgré toutes les atteintes que sa santé avait reçues, il était, lui, comparativement joyeux et même plein d’espérances, tandis que Ann était mortellement triste. Au moment des adieux, elle lui jeta ses bras autour du cou, et se mit à pleurer sans prononcer une seule parole. Il espérait revenir au plus tard dans une semaine, et il fut convenu entre eux qu’à partir du cinquième soir, et chaque soir suivant, elle viendrait l’attendre à six heures au bas de Great-Titchfieldstreet, qui était comme leur port habituel et leur lieu de repos dans la grande Méditerranée d’Oxford-street. Il croyait ainsi avoir bien pris toutes ses précautions pour la retrouver ; il n’en avait oublié qu’une
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