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pour tout dire, il avoue qu’il ne lui était jamais entré dans la pensée que le travail littéraire pût devenir pour lui la source d’un profit quelconque. Il n’avait jamais, pour sortir de sa déplorable situation, caressé qu’un seul expédient, celui d’emprunter de l’argent sur la fortune qu’il avait le droit d’attendre. Enfin, il était parvenu à faire la connaissance de quelques juifs, que l’attorney en question servait dans leurs affaires ténébreuses. Leur prouver qu’il avait de réelles espérances, là n’était pas le difficile, ses assertions pouvant être vérifiées avec le testament de son père aux Doctors’ commons. Mais restait une question absolument imprévue pour lui, celle de l’identité de personne. Il exhiba alors quelques lettres que de jeunes amis, entre autres le comte de…, et même son père le marquis de…, lui avaient écrites pendant qu’il habitait le pays de Galles, et qu’il portait toujours dans sa poche. Les juifs daignèrent enfin promettre deux ou trois cents livres, à la condition que le jeune comte de… (qui, par parenthèse, n’était guère plus âgé que lui), consentirait à en garantir le remboursement à l’époque de leur majorité. On devine que le but du prêteur n’était pas seulement de tirer un profit quelconque d’une affaire, fort minime après tout pour lui, mais d’entrer en relations avec le jeune comte, dont il connaissait l’immense fortune à venir. Aussi, à peine ses dix livres reçues, notre jeune vagabond se prépare-t-il à partir pour Eton. Trois livres à peu près sont laissées au futur prêteur pour payer les actes à rédi-