Page:Baudelaire - Petits poèmes en prose 1868.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme d’habitude, appelé le premier, je m’avançai, et, passant devant le principal qui était présent, je le saluai ; je le regardais curieusement au visage, et je pensais en moi même : Il est vieux et infirme, et je ne le verrai plus en ce monde ! J’avais raison, car je ne l’ai pas revu et je ne le reverrai jamais. Il me regarda complaisamment, avec un bon sourire, me rendit mon salut, ou plutôt mon adieu, et nous nous quittâmes, sans qu’il s’en doutât, pour toujours. Je ne pouvais pas éprouver un profond respect pour son intelligence ; mais il s’était toujours montré bon pour moi ; il m’avait accordé maintes faveurs, et je souffrais à la pensée de la mortification que j’allais lui infliger.

« Le matin arriva, où je devais me lancer sur la mer du monde, matin d’où toute ma vie subséquente a pris, en grande partie, sa couleur. Je logeais dans la maison du principal, et j’avais obtenu, dès mon arrivée, la faveur d’une chambre particulière, qui me servait également de chambre à coucher et de cabinet de travail. À trois heures et demie, je me levai, et je considérai avec une profonde émotion les anciennes tours de…, parées des premières lueurs, et qui commençaient à s’empourprer de l’éclat radieux d’une matinée de juin sans nuages. J’étais ferme et inébranlable dans mon dessein, mais troublé cependant par une appréhension vague d’embarras et de dangers incertains ; et si j’avais pu prévoir la tempête, la véritable grêle d’affliction qui devait bientôt s’abattre sur moi, j’eusse été à bon droit bien autrement agité. La paix profonde