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à laquelle ne puisse se prêter le souple amour d’un esclave du haschisch. Le goût de la protection, un sentiment de paternité ardente et dévouée peuvent se mêler à une sensualité coupable que le haschisch saura toujours excuser et absoudre. Il va plus loin encore. Je suppose des fautes commises ayant laissé dans l’âme des traces amères, un mari ou un amant ne contemplant qu’avec tristesse (dans son état normal) un passé nuancé d’orages ; ces amertumes peuvent alors se changer en douceurs ; le besoin de pardon rend l’imagination plus habile et plus suppliante, et le remords lui-même, dans ce drame diabolique qui ne s’exprime que par un long monologue, peut agir comme excitant et réchauffer puissamment l’enthousiasme du cœur. Oui, le remords ! Avais-je tort de dire que le haschisch apparaissait, à un esprit vraiment philosophique, comme un parfait instrument satanique ? Le remords, singulier ingrédient du plaisir, est bientôt noyé dans la délicieuse contemplation du remords, dans une espèce d’analyse voluptueuse ; et cette analyse est si rapide que l’homme, ce diable naturel, pour parler comme les swedenborgiens, ne s’aperçoit pas combien elle est involontaire, et combien, de seconde en seconde, il se rapproche de la perfection diabolique. Il admire son remords et il se glorifie, pendant qu’il est en train de perdre sa liberté.

Voilà donc mon homme supposé, l’esprit de mon choix, arrivé à ce degré de joie et de sérénité où il est contraint de s’admirer lui-même. Toute contradiction