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haschisch. Que peut être cette ivresse de l’amour, déjà si puissante à son état naturel, quand elle est enfermée dans l’autre ivresse, comme un soleil dans un soleil ? Telle est la question qui se dressera dans une foule d’esprits que j’appellerai les badauds du monde intellectuel. Pour répondre à un sous-entendu déshonnête, à cette partie de la question qui n’ose pas se produire, je renverrai le lecteur à Pline, qui a parlé quelque part des propriétés du chanvre de façon à dissiper sur ce sujet bien des illusions. On sait, en outre, que l’atonie est le résultat le plus ordinaire de l’abus que les hommes font de leurs nerfs et des substances propres à les exciter. Or, comme il ne s’agit pas ici de puissance affective, mais d’émotion ou de susceptibilité, je prierai simplement le lecteur de considérer que l’imagination d’un homme nerveux, enivré de haschisch, est poussée jusqu’à un degré prodigieux, aussi peu déterminable que la force extrême possible du vent dans un ouragan, et ses sens subtilisés à un point presque aussi difficile à définir. Il est donc permis de croire qu’une caresse légère, la plus innocente de toutes, une poignée de main, par exemple, peut avoir une valeur centuplée par l’état actuel de l’âme et des sens, et les conduire peut-être, et très rapidement, jusqu’à cette syncope qui est considérée par les vulgaires mortels comme le summum du bonheur. Mais que le haschisch réveille, dans une imagination souvent occupée des choses de l’amour, des souvenirs tendres, auxquels la douleur et le malheur donnent