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élan. La gorge se ferme, pour ainsi dire. Le palais est desséché par une soif qu’il serait infiniment doux de satisfaire, si les délices de la paresse n’étaient pas plus agréables et ne s’opposaient pas au moindre dérangement du corps. Des soupirs rauques et profonds s’échappent de votre poitrine, comme si votre ancien corps ne pouvait pas supporter les désirs et l’activité de votre âme nouvelle. De temps à autre, une secousse vous traverse et vous commande un mouvement involontaire, comme ces soubresauts qui, à la fin d’une journée de travail ou dans une nuit orageuse, précèdent le sommeil définitif.

Avant d’aller plus loin, je veux, à propos de cette sensation de fraîcheur dont je parlais plus haut, raconter encore une anecdote qui servira à montrer jusqu’à quel point les effets, même purement physiques, peuvent varier suivant les individus. Cette fois, c’est un littérateur qui parle, et en quelques passages de son récit on pourra, je crois, trouver les indices d’un tempérament littéraire.

« J’avais, me dit celui-ci, pris une dose modérée d’extrait gras, et tout allait pour le mieux. La crise de gaieté maladive avait duré peu de temps, et je me trouvais dans un état de langueur et d’étonnement qui était presque du bonheur. Je me promettais donc une soirée tranquille et sans soucis. Malheureusement le hasard me contraignit à accompagner quelqu’un au spectacle. Je pris mon parti en brave, résolu à déguiser mon immense désir de paresse et d’immobilité.