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398 CHAULES BAUDELAIRE

Faut-il vous dire aussi combien de fois j’ai pensé à vous (chaque fois que je contraignais un Belge à exécuter un morceau de Wagner, chaque fois que j’avais à disputer sur la littérature française, cha- que fois que se présentait de nouveau un exemple prouvant cette bêtise belge dont vous m’aviez tant parlé) ?

J’ai passé ici pour agent de police (c’est bien fait !), (grâce à ce bel article que j’ai écrit sur le banquet shakespearien) ; pour pédéraste (c’est moi-même qui ai répandu ce bruit, et on m’a crut)’, ensuite, j’ai passé pour un correcteur d’é- preuves, envoyé de Paris pour corriger des épreu- ves d’ouvrages infâmes. Exaspéré d’être toujours cru, j’ai répandu le bruit que j’avais tué mon père, et que Je l’avais mangé ; que d’ailleurs, si on m’a- vait permis de me sauver de France, c’était à cause des services que je rendais à la police française, et ON m’a cru \.,. Je nage dans le déshonneur, comme un poisson dans l’eau.

Chère Madame, ne me répondez pas ; vous seriez embarrassée, malgré tout votre esprit, pour répondre à une pareille lettre. Pardonnez à un esprit qui cherche quelquefois des confidents, et qui n’a jamais cessé de penser à votre grâce et à votre bonté.

Je fais des prières pour que vous soyez heu- reuse (car je prie pour tous ceux que j’aime), et je vous supplie de ne pas m’oublier dans les vôtres, quand vous aurez autant d’humilité que vous ave^ d’esprit.