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302 CHARLES BAUDELAIRE

malheureusement marqué de romantisme depuis sa naissance.

Le mot pastiche n’est pas juste. M. Manet n’a jamais vu de Goya : M.. Manet n’a jamais vu de Gréco ; M. Manet n’a jamais vu la galerie Pourlalès. Gela vous paraît incroyable, mais cela est vrai.

Moi-même, j’ai admiré, avec stupéfaction, ces mystérieuses coïncidences.

M. Manet, à l’époque où nous jouissions de ce merveilleux Musée espagnol que la stupide République française, dans son respect aôï/^^yde la propriété, a rendu aux princes d’Orléans, M. Manet était un enfant, et servait à bord d’un navire. On lui a tant parlé de ses pastiches de Goya que, maintenant, il cherche à voir des Goya.

Il est vrai qu’il a vu des Velasquez, je ne sais où. — Vous doutez de ce que je vous dis ? Vous doutez que de si étonnants parallélismes géométriques puissent se présenter dans la nature. Eh bien ! on m’accuse, moi, d’imiter Edgar Poe !

Savez-vous pourquoi j’ai si patiemment traduit Poe ? Parce qu^il me ressemblait. La première fois que j’ai ouvert un livre de lui, j’ai vu, avec épouvante et ravissement, non seulement des sujets rêvés par moi, mais des phrases, pensées par moi, et écrites par lui, vingt ans auparavant.

Et nunc erudimini^ vos qui jiidicatis t… Ne vous fâchez pas, mais conservez pour moi, dans un coin de votre cerveau, un bon souvenir. Toutes les fois que vous chercherez à rendre service à Manet, je vous remercierai.