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de mes rêveries, je me suis aperçu que, de tout temps, j’ai été obsédé par l’impossibilité de me rendre compte de certaines actions ou pensées soudaines de l’homme, sans l’hypothèse de l’intervention d’une force méchante, extérieure à lui. Voilà un gros aveu dont tout le XIXème siècle conjuré ne me fera pas rougir. Remarquez bien que je ne renonce pas au plaisir de changer d’idée ou de me contredire.

Un de ces jours, si vous le permettez, en allant à Honfleur, je m’arrêterai à Rouen, mais, comme je présume que vous êtes semblable à moi, et que vous haïssez les surprises, je vous préviendrai quelque temps d’avance.

Vous me dites que je travaille beaucoup. Est-ce une cruelle moquerie ? Bien des gens, sans me compter, trouvent que je ne fais pas grand chose.

Travailler, c’est travailler sans cesse, c’est n’avoir plus de sens, plus de rêverie, et c’est être une pure volonté, toujours en mouvement. J’y arriverai peut-être.

Tout à vous. Votre ami bien dévoué.

J’ai toujours rêvé de lire (en entier) La Tentation et un autre livre singulier, dont vous n’avez publié aucun fragment (’Novembre). Et comment va Carthage ?