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XXXVIII
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

Insatiable besoin de vengeance encore, d’un Prométhée enchaîné à son rocher, et dont la nature entière contemple, insensible, le lancinant supplice ! — Mais toujours, jusqu’en ses révoltes, sa poursuite des sensations frénétiques, ses curiosités interdites, il avait gardé en lui, comme un trésor nostalgique, le souvenir des extases religieuses de sa prime jeunesse avec l’appétence de toutes les puretés et la hantise de la loi divine.

À mesure que les années s’écoulent, on sent se préciser, chez Baudelaire, ce drame de désolation intérieure. La dualité de son génie lui a fait une âme de possédé ; le péché la hante, l’inquiétude l’assiège, le remords la domine. À s’étendre sur la table de vivisection et à retrouver en lui-même ces tares où se fonde sa misanthropie, il a pris en horreur sa propre nature. Malgré tout son orgueil, il se juge sévèrement. Ses lettres débordent d’aveux angoissés. Il se reproche d’avoir manqué à l’équilibre et à l’harmonie que l’individu se doit d’établir entre ses facultés, d’avoir ignoré la Règle, de ne pas s’être plié à une discipline. Y a-t-il eu dans sa vie de ces fautes que le temps n’efface point ? C’est peu croyable, après tant d’enquêtes dont elle a été l’objet. Cependant il se traite en criminel, se déclare coupable « de tous les côtés ». Il accuse son tempérament « qui n’est que ruse et violence » . Il se dénonce comme ayant « la notion du devoir et de toutes les obligations morales, et les trahissant toujours », comme « n’arrivant pas à se guérir de ses vices et ne pouvant s’y faire ». Parfois l’observateur qu’il reste perd pied dans le dédale de ses analyses : « J’ai des maux de nerfs insupportables, exactement comme les femmes… J’ai dans l’esprit des caprices inexplicables… J’ai une âme si singulière que je ne m’y reconnais pas moi-même. » Il a complètement dépouillé son personnage de dandy, ou plutôt, maintenant, c’est au