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XXX
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

lit de sa main : quœrens quem devoret, et malgré la strophe fameuse :

Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier dans sa stupidité,
S’éprenant d’un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l’amour mêler l’honnêteté !

il souffrait de ses trahisons. Dans les Fleurs du Mal, qui sont pleines d’elle, — en tenant compte, bien entendu, de la puissance de transposition à laquelle se mesure un poète, — s’il a chanté chacun de ses charmes et le manège cruel de sa coquetterie, avec tous les souvenirs des pays embaumés qu’éveillaient en lui le parfum de sa chevelure « élastique » et son beau corps « poli comme le cuivre », par contre il lui a plusieurs fois lancé l’anathème. À deux reprises au moins il voulut secouer ce joug indigne, rêvant alors de pureté, de toutes les puretés d’un amour qui aurait les vertus régénératrices du baptême. De celle en qui se cristallisèrent, pour la première fois, les postulations mystiques de son être, on ne sait que le prénom : Marie. On est en revanche abondamment renseigné sur la seconde, Mme Sabatier, alias « La Présidente », qui, riche de par les libéralités de Richard Wallace et de Mosselmann, recevait à sa table Flaubert, Maxime du Camp, Feydeau, Gautier entre beaucoup d’autres artistes notoires, et dont Meissonier, Ricard et Clésinger ont, par le pinceau ou le ciseau, célébré l’éblouissante beauté. Baudelaire, pendant quatre ans, lui fit tenir des billets anonymes où il lui confiait ses remords comme à sa conscience, et réclamait ses prières comme celles de son ange gardien. C’est pour elle qu’il inventa ces hymnes, ces litanies, ces oraisons qui, dans l’atmosphère de damnation des Fleurs du Mal, apparaissent comme des rayons de la grâce divine, et dont