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XXIX
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

gants », a-t-il écrit. De ces derniers il semble bien pourtant avoir abandonné l’usage avec son éditeur Poulet-Malassis : mais peut-être la communauté qu’ils avaient établie entre leurs intérêts y fut-elle pour quelque chose. En tout cas il est évident qu’un Poulet-Malassis, même valant mieux que sa réputation, ne pouvait être un soutien à la destinée blessée d’un Baudelaire.

Et quant aux femmes enfin, ce refuge habituel des souffrants, Baudelaire les abominait, d’abord parce que « matérielles », suprême injure dans sa bouche, et puis comme les instruments dociles du diable, et encore comme l’habitacle ordinaire du sentiment qui, déformant la réalité, pousse à toutes les folies. À l’instar des Grecs, il faisait d’Éros le fils de Chaos et prétendait opérer un complet divorce entre le cœur et les sens. Ses contemporains nous ont laissé d’amples descriptions de cette Jeanne Duval qu’il avait tirée dès 1842 du petit théâtre où elle tenait emploi de figurante et dont il subit, sa vie entière, l’emprise toute charnelle. C’était, autant que leurs témoignages peuvent se concilier, une mulâtresse de bonne taille, assez jaune, avec de vastes yeux noirs, des cheveux presque crépus, une poitrine abondante, et dont la démarche de reine, a dit Banville, avait quelque chose à la fois de divin et de bestial. Sans doute est-ce à cause de cette dualité antithétique, où tient tout le fumet du gibier humain, qu’il tenait à elle, ou peut-être parce qu’il avait réellement rapporté des îles le culte de la Vénus noire. Ce qui est certain, c’est qu’elle réunissait en sa personne l’universalité des vices communs aux métis : libertine, sournoise, menteuse, dépensière, alcoolique, — stupide par surcroît. Il n’en ignorait rien. Sous un portrait à la plume qu’il a laissé d’elle — il dessinait fort bien, Daumier a même dit qu’il aurait pu être un grand peintre s’il n’avait préféré être un grand poète, — on