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(La scène représente le lit de Rosette ; un rayon de soleil plonge à travers les rideaux : il est dix heures… la chemise de Rosette a un tour de gorge de malines toute déchirée ; la nuit a été orageuse ; ses cheveux s’échappent confusément de son petit bonnet ; elle est aussi jolie que peut l’être une femme que l’on n’aime point et avec qui l’on est couché.)

Une querelle s’engage entre les deux amants, et voici comment le dialogue se termine :

Rosette. — Laissez-moi !

Moi. — Pardieu non !

Rosette (se débattant). — Oh ! vous me lâcherez !

Moi. — J’ose, madame, vous assurer le contraire.

Rosette (voyant qu’elle n’est pas la plus forte). — Eh bien, je reste, vous me serrez le bras d’une force !… Que voulez-vous de moi ?

Moi. — Je pense que vous le savez. — Je ne me permettrais pas de dire ce que je me permets de faire ; je respecte trop la décence.

Rosette (déjà dans l’impossibilité de se défendre). — A condition que tu m’aimeras beaucoup… je me rends.

Moi. — II est un peu tard pour capituler, lorsque l’ennemi est déjà dans sa place.

Rosette (me jetant les bras autour du cou, à moitié pâmée). — Sans condition… je m’en remets à ta générosité…

Je passe à la conclusion du roman : Mademoiselle de Maupin a épuisé, comme elle le dit, toutes ses cruautés ; elle vient elle-même trouver d’Albert et se remettre entre ses mains ;

C’était bien Rosaiinde, si belle et si radieuse qu’elle éclairait toute la chambre, avec ses cordons de perles dans les cheveux, sa robe prismatique, ses grands sabots de dentelles, ses souliers à talons rouges, son bel éventail de plumes de paon, telle enfin qu’elle était le jour de la représentation. Seulement, différence importante et décisive, elle n’avait ni gorgerEtte, ni guimpe, ni fraise, ni quoi que ce soit qui dérobât aux yeux ces deux charmants frères ennemis, — qui, hélas ! ne tendent trop souvent qu’à se réconcilier.

Une gorge entièrement nue, blanche, transparente comme un marbre antique, de la coupe la plus pure et la plus exquise, saillait hardiment hors d’un corsage très échancré et semblait porter des défis aux baisers

— Pourquoi, ma chère souveraine, avez-vous l’air chaste et sérieux d’une Diane antique, là où il faudrait plutôt les lèvres souriantes de Vénus sortant de la mer ?

— oyez-vous, d’Albert, c’est que je ressemble plus à Diane chasseresse