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de comprendre et de rendre l’art, qu’il n’a pas à décider entre les écoles de style ; c’est pour cela que, dans les affaires de cette nature, ce n’est pas la forme qu’il faut interroger, mais le fond ; et l’on risquerait fort de se tromper et de ne pas faire bonne et équitable justice, si l’on se laissait entraîner par quelques expressions, exagérées et violentes, parsemées çà et là, sans aller au fond des choses, sans rechercher les intentions sincères, sans se rendre un compte bien exact de l’esprit qui anime le livre.

A cet égard, vous avez, je vous l’ai dit, les déclarations et les protestations de l’homme, qu’il faut rapprocher de son honorabilité parfaite ; et puisqu’il s’agit de ses intentions, vous avez encore autre chose, c’est le livre lui-même.

Et d’abord, le poète vous prévient par son titre, qui est là, comme en vedette, pour annoncer la nature et le genre de l’œuvre ; c’est le mal qu’il va vous montrer, la flore des lieux malsains, les fruits des végétaux vénéneux, son titre vous le dit, — comme ce titre de l’Enfer, lorsqu’il s’agit de l’œuvre du Dante — mais il va vous montrer tout cela, pour le flétrir, pour vous en donner l’horreur, pour vous en inspirer la haine et le dégoût.

Après le titre, je lis l’épigraphe ; là est toute la pensée de l’auteur, là est tout l’esprit du livre, c’est un second titre pour ainsi dire, plus explicite que le premier et qui l’explique, le commente et le développe :

On dit qu’il faut couler les exécrables choses
Dans le puits de l’oubli et au sépulchre encloses,
Et que par les escrits le mal resuscité
Infectera les mœurs de la postérité ;
Mais le vice n’a point pour mère la science.
Et la vertu n’est pas fille de l’ignorance.

(Th. Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, livre II.)

La pensée intime de l’auteur, vous la trouverez, encore plus nettement marquée, dès les premiers vers ; il les adresse au lecteur comme un avertissement, et voici ce qu’il lui dit :

La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.