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XXVII
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

réalité Baudelaire ne jouit alors que de l’admiration d’une faible élite ; l’immense majorité des critiques crible de sarcasmes ses productions, quand elle ne les dénonce pas comme dangereuses pour la moralité publique, et lui-même, ainsi que l’atteste sa correspondance, est au plein du drame qui va l’opposer, ou, pour plus exactement parler, — qui n’a cessé de l’opposer tant à la réalité des choses qu’à lui-même.

Cette étude n’étant conçue que du point de vue biographique, et le plan de notre édition comportant, en fin de chaque tome, une histoire détaillée des textes qu’on y a rassemblés, je ne parlerai ici de l’œuvre qu’à l’occasion, et dans ses rapports avec la vie. Par contre j’analyserai le double drame que je viens de mentionner ; à en dissocier les éléments, il y a chance de pénétrer plus avant dans l’âme tourmentée où sont écloses Les Fleurs du Mal, Aussi bien est-ce lui qui a paré cette vie, si médiocre en surface, d’un pathétique douloureux et parfois héroïque.


L’exemple ne manque pas de grands hommes qui ont pu s’accommoder d’une gêne voisine de la misère, ou d’être méconnus de leurs contemporains. Mais ceux-là étaient soutenus par une amitié passionnée, par le dévouement d’une femme dont ils étaient l’idole, par quelque sentiment qui les embrasait eux-mêmes. Baudelaire n’a jamais rien eu de tout cela ; l’acuité de son sens critique, son désenchantement général, sa nature, incapable d’accepter la vie telle qu’elle s’offre et les êtres tels que Dieu les a faits, lui fermait le royaume du cœur. Il est bien vrai, nous l’avons dit, qu’on l’a vu sur les barricades, mais lui-même, dans ses journaux intimes, a pris soin de nous informer que son engouement révolutionnaire ne devait être rapporté qu’« au plaisir naturel de la démolition ». Malgré