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XXVI
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

prend à Châteauroux la direction d’une feuille conservatrice, où il débute d’ailleurs par un éloge si mirifique de Marat et de Robespierre, qu’on le remercie sur l’heure !

C’est là sa dernière convulsion — le mot n’est pas trop fort — au domaine politique, où il semble avoir usé bien vainement le peu de propension à la vie active qui était en lui. Il rentre à Paris, qu’il ne va guère quitter pendant douze ans, résolu à réaliser son œuvre. Il se tient parole, autant que son tempérament inégal peut se plier à des habitudes régulières de travail, et voici venir sa belle période de production. Ses essais se grossissent de lʼExposition de 1855 et du Salon de 1859 ; il donne enfin Les Fleurs du Mal (1857) dont le succès suivi de scandale[1] proclame l’audace de son génie novateur ; il révèle au public de chez nous Thomas de Quincey avec Les Paradis artificiels (1860) et Edgar Poe avec les cinq volumes de ses traductions ; il découvre Constantin Guys dans Le Peintre de la Vie moderne (1863), et, avec son Richard Wagner et Tannhauser (1861), sauve la critique française contemporaine de la honte d’avoir complètement méconnu le grand dramaturge-compositeur. Il consacre encore des études critiques à nombre de personnalités littéraires et cisèle les admirables Petits Poëmes en prose. Tous ces titres sonnent aujourd’hui comme autant d’étapes sur une route triomphale, et, à constater la maîtrise qu’il affirme dans tous les genres, même dans celui de la critique musicale, auquel rien ne l’avait préparé, on pourrait croire que Baudelaire, à cette époque-là du moins, est enfin en complète possession tant de sa renommée que de ces certitudes intérieures qui sont indispensables à la création artistique. Rien de moins exact pourtant. En

  1. Pour tous les détails du procès, voir plus loin notre Histoire des Fleurs du Mal.