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ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

Nature qui, participant tout entière au péché originel, est d’essence satanique. Il va de soi qu’un tel système implique une parfaite maîtrise de soi-même avec la pratique constante de l’artifice. Baudelaire ne devait jamais être le surhomme ou dandy qu’il avait rêvé, car s’il possédait en surabondance l’art de composer son personnage, par contre le self-control lui manqua toujours — non dans son œuvre, certes ! mais dans la conduite de sa vie. De ce fait et parce qu’il était trop nerveux pour garder fidèlement l’impassibilité que réclamait son rôle, il a passé auprès de beaucoup de gens pour un insupportable « poseur ». Mais, aussi vrai qu’on ne saurait lui reprocher d’avoir visé trop haut, il serait absurde de contester la noblesse de son postulat qui, s’apparentant à la fois au stoïcisme et au catholicisme, rejoint le culte des héros qu’ont préconisé Carlyle et Nietzsche.

Le zèle avec lequel Baudelaire s’appliquait alors à être un dandy, ne l’empêchait pas d’ailleurs de travailler. Déjà étaient composées bon nombre des pièces qui, quinze ans plus tard, devaient prendre place dans les Fleurs du Mal, et plusieurs de celles qui donnent le ton au livre tout entier. C’est ainsi que Le Rebelle, où le pécheur préfère la damnation éternelle à la honte de se soumettre ; Don Juan, ce héros de l’impassibilité qui, tandis que ses victimes l’adjurent et l’invectivent,

Regardait le sillage et ne daignait rien voir ;

ou encore L’Albatros, semblable au poète dont le martyre terrestre tient dans ce vers magnifique :

 Ses ailes de géant l’empêchent de marcher,

tout cela était conçu dès 1843. Dans les crémeries ou brasseries du quartier latin, on saluait l’apparition de Baude-