Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal, Conard, 1922.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
TABLEAUX PARISIENS.

Qu’ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,
Luisants comme ces trous où l’eau dort dans la nuit ;
Ils ont les yeux divins de la petite fille
Qui s’étonne et qui rit à tout ce qui reluit.

— Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d’un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d’un goût bizarre et captivant,

Et lorsque j’entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
II me semble toujours que cet être fragile
S’en va tout doucement vers un nouveau berceau ;

À moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l’aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l’ouvrier varie
La forme de la boîte où l’on met tous ces corps.

— Ces yeux sont des puits faits d’un million de larmes,
Des creusets qu’un métal refroidi pailleta…
Ces yeux mystérieux ont d’invincibles charmes
Pour celui que l’austère Infortune allaita !

II



De l’ancien Frascati Vestale énamourée ;
Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur
Défunt, seul, sait le nom ; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,