Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal, Conard, 1922.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
SPLEEN ET IDÉAL.


LXXXV

MADRIGAL TRISTE.


Que m’importe que tu sois sage ?
Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Comme le fleuve au paysage ;
L’orage rajeunit les fleurs.

Je t’aime surtout quand la joie
S’enfuit de ton front terrassé ;
Quand ton cœur dans l’horreur se noie ;
Quand sur ton présent se déploie
Le nuage affreux du passé.

Je t’aime quand ton grand œil verse
Une eau chaude comme le sang ;
Quand, malgré ma main qui te berce,
Ton angoisse, trop lourde, perce
Comme un râle d’agonisant.

J’aspire, volupté divine !
Hymne profond, délicieux !
Tous les sanglots de ta poitrine,
Et crois que ton cœur s’illumine
Des perles que versent tes yeux !