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culminants ou lumineux au point de vue dramatique), ou ses principales caractéristiques, quelquefois même avec une exagération utile pour la mémoire humaine ; et l’imagination du spectateur, subissant à son tour cette mnémonique si despotique, voit avec netteté l’impression produite par les choses sur l’esprit de M. G. Le spectateur est ici le traducteur d’une traduction toujours claire et enivrante.

Il est une condition qui ajoute beaucoup à la force vitale de cette traduction légendaire de la vie extérieure. Je veux parler de la méthode de dessiner de M. G. Il dessine de mémoire, et non d’après le modèle, sauf dans les cas (la guerre de Crimée, par exemple) où il y a nécessité urgente de prendre des notes immédiates, précipitées, et d’arrêter les lignes principales d’un sujet. En fait, tous les bons et vrais dessinateurs dessinent d’après l’image écrite dans leur cerveau, et non d’après la nature. Si l’on nous objecte les admirables croquis de Raphaël, de Watteau et de beaucoup d’autres, nous dirons que ce sont là des notes, très-minutieuses, il est vrai, mais de pures notes. Quand un véritable artiste en est venu à l’exécution définitive de son œuvre, le modèle lui serait plutôt un embarras qu’un secours. Il arrive même que des hommes tels que Daumier et M. G., accoutumés dès longtemps à exercer leur mémoire et à la remplir d’images, trouvent devant le modèle et la multiplicité de détails qu’il comporte, leur faculté principale troublée et comme paralysée.