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l’époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément, qui est comme l’enveloppe amusante, titillante, apéritive, du divin gâteau, le premier élément serait indigestible, inappréciable, non adapté et non approprié à la nature humaine. Je défie qu’on découvre un échantillon quelconque de beauté qui ne contienne pas ces deux éléments.

Je choisis, si l’on veut, les deux échelons extrêmes de l’histoire. Dans l’art hiératique, la dualité se fait voir au premier coup d’œil ; la partie de beauté éternelle ne se manifeste qu’avec la permission et sous la règle de la religion à laquelle appartient l’artiste. Dans l’œuvre la plus frivole d’un artiste raffiné appartenant à une de ces époques que nous qualifions trop vaniteusement de civilisées, la dualité se montre également ; la portion éternelle de beauté sera en même temps voilée et exprimée, sinon par la mode, au moins par le tempérament particulier de l’auteur. La dualité de l’art est une conséquence fatale de la dualité de l’homme. Considérez, si cela vous plaît, la partie éternellement subsistante comme l’âme de l’art, et l’élément variable comme son corps. C’est pourquoi Stendhal, esprit impertinent, taquin, répugnant même, mais dont les impertinences provoquent utilement la méditation, s’est rapproché de la vérité, plus que beaucoup d’autres, en disant que le Beau n’est que la promesse du bonheur. Sans doute cette définition dépasse le but ; elle soumet beaucoup trop le beau à l’idéal infiniment variable du bonheur ; elle dépouille trop lestement le beau de son