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« Jacob lui fit ensuite cette demande : Dites-moi, je vous prie, comment vous vous appelez ? Il lui répondit : Pourquoi me demandez-vous mon nom ? Et il le bénit en ce même lieu.

« Jacob donna le nom de Phanuel à ce lieu-là, en disant : J’ai vu Dieu face à face et mon âme a été sauvée.

« Aussitôt qu’il eut passé ce lieu qu’il venait de nommer Phanuel, il vit le soleil qui se levait ; mais il se trouva boiteux d’une jambe.

« C’est pour cette raison que, jusqu’aujourd’hui, les enfants d’Israël ne mangent point du nerf des bêtes, se souvenant de celui qui fut touché en la cuisse de Jacob et qui demeura sans mouvement. »

De cette bizarre légende, que beaucoup de gens interprètent catégoriquement, et que ceux de la Kabbale et de la nouvelle Jérusalem traduisent sans doute dans des sens différents, Delacroix, s’attachant au sens matériel, comme il devait faire, a tiré tout le parti qu’un peintre de son tempérament en pouvait tirer. La scène est au gué de Jacob ; les lueurs riantes et dorées du matin traversent la plus riche et la plus robuste végétation qui se puisse imaginer, une végétation qu’on pourrait appeler patriarcale. À gauche, un ruisseau limpide s’échappe en cascades ; à droite, dans le fond, s’éloignent les derniers rangs de la caravane qui conduit vers Ésaü les riches présents de Jacob : « deux cents chèvres, vingt boucs, deux cents brebis et vingt béliers, trente femelles de chameaux avec leurs petits,