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ciété dira : « C’est bien fait ; sa pénurie est la punition de sa prodigalité. »

Je puis affirmer que Delacroix, en matière d’argent et d’économie, partageait complétement l’opinion de Stendhal opinion qui concilie la grandeur et la prudence.

« L’homme d’esprit, disait ce dernier, doit s’appliquer à acquérir ce qui lui est strictement nécessaire pour ne dépendre de personne (du temps de Stendhal, c’était 6,000 francs de revenu) ; mais si, cette sûreté obtenue, il perd son temps à augmenter sa fortune, c’est un misérable. »

Recherche du nécessaire et mépris du superflu, c’est une conduite d’homme sage et de stoïcien.

Une des grandes préoccupations de notre peintre dans ses dernières années était le jugement de la postérité et la solidité incertaine de ses œuvres. Tantôt son imagination si sensible s’enflammait à l’idée d’une gloire immortelle, tantôt il parlait amèrement de la fragilité des toiles et des couleurs. D’autres fois il citait avec envie les anciens maîtres, qui ont eu presque tous le bonheur d’être traduits par des graveurs habiles, dont la pointe ou le burin a su s’adapter à la nature de leur talent, et il regrettait ardemment de n’avoir pas trouvé son traducteur. Cette friabilité de l’œuvre peinte, comparée avec la solidité de l’œuvre imprimée, était un de ses thèmes habituels de conversation.

Quand cet homme si frêle et si opiniâtre, si nerveux