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serrer la main de son amical contradicteur. Mais celui-ci était alors loin de Paris.




VII


Les femmes sentimentales et précieuses seront peut-être choquées d’apprendre que, semblable à Michel-Ange (rappelez-vous la fin d’un de ses sonnets : "Sculpture ! divine Sculpture, tu es ma seule amante ! »), Delacroix avait fait de la Peinture son unique muse, son unique maîtresse, sa seule et suffisante volupté.

Sans doute il avait beaucoup aimé la femme aux heures agitées de sa jeunesse. Qui n’a pas trop sacrifié à cette idole redoutable ? Et qui ne sait que ce sont justement ceux qui l’ont le mieux servie qui s’en plaignent le plus ? Mais longtemps déjà avant sa fin ; il avait exclu la femme de sa vie. Musulman, il ne l’eût peut-être pas chassée de sa mosquée, mais il se fût étonné de l’y voir entrer, ne comprenant pas bien quelle sorte de conversation elle peut tenir avec Allah.

En cette question, comme en beaucoup d’autres, l’idée orientale prenait en lui vivement et despotiquement le dessus. Il considérait la femme comme un objet d’art, délicieux et propre à exciter l’esprit, mais un objet d’art désobéissant et troublant, si on lui livre le seuil du cœur, et dévorant gloutonnement le temps et les forces.