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La superstition ! ai-je dit. Elle joue un grand rôle dans la tragédie solitaire et interne du pauvre Alpinien, et ce n’est pas sans un délicieux et douloureux attendrissement qu’on voit par instant son pauvre esprit, — où la superstition la plus puérile, symbolisant obscurément, comme dans le cerveau des nations, l’universelle vérité, s’amalgame avec les sentiments religieux les plus purs, — se retourner vers les salutaires impressions de l’enfance, vers la vierge Marie, vers le chant fortifiant des cloches, vers le crépuscule consolant de l’Église, vers la famille, vers sa mère ; la mère, ce giron toujours ouvert pour les fruits-secs, les prodigues et les ambitieux maladroits. On peut espérer qu’à partir de ce moment Alpinien est à moitié sauvé ; il ne lui manque plus que de devenir un homme d’action, un homme de devoir, au jour le jour.

Beaucoup de gens croient que la satire est faite avec des larmes, des larmes étincelantes et cristallisées. En ce cas, bénies soient les larmes qui fournissent l’occasion du rire, si délicieux et si rare, et dont l’éclat démontre d’ailleurs la parfaite santé de l’auteur !

Quant à la moralité du livre, elle en jaillit naturellement comme la chaleur de certains mélanges chimiques. Il est permis de soûler les ilotes pour guérir de l’ivrognerie les gentilshommes.

Et quant au succès, question sur laquelle on ne peut rien présager, je dirai simplement que je le désire, parce qu’il serait possible que l’auteur en reçût une