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lui-même du martyre de cet ancien brave, minaudant, gambadant, rampant, déclamant, marivaudant, pour obtenir de ces jeunes bourreaux… quoi ? l’aumône d’un dernier verre d’absinthe. Tout à coup l’indignation de l’auteur se projette d’une manière stentorienne, par la bouche d’un des personnages, qui fait justice immédiate de ces divertissements de rapins. Le discours est très éloquent et très enlevant ; malheureusement la note personnelle de l’auteur, sa simplicité révoltée, n’est pas assez voilée. Le poète, sous son masque, se laisse encore voir. Le suprême de l’art eût consisté à rester glacial et fermé, et à laisser au lecteur tout le mérite de l’indignation. L’effet d’horreur en eût été augmenté. Que la morale officielle trouve ici son profit, c’est incontestable ; mais l’art y perd, et avec l’art vrai, la vraie morale : la suffisante, ne perd jamais rien.

Les personnages de M. Cladel ne reculent devant aucun aveu ; ils s’étalent avec une instructive nudité. Les femmes, une à qui sa douceur animale, sa nullité peut-être, donne, aux yeux de son amant ensorcelé, un faux air de sphinx ; une autre, modiste prétentieuse, qui a fouaillé son imagination avec toutes les orties de George Sand, se font des révérences d’un autre monde et se traitent de madame ! gros comme le bras. Deux amants tuent leur soirée aux Variétés et assistent à la Vie de Bohème ; s’en retournant vers leur taudis, ils se querelleront dans le style de la pièce ; mieux encore, chacun, oubliant sa propre personnalité, ou plutôt la confondant avec le personnage qui lui plaît davantage,