Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que soit un être, et si nul qu’il soit relativement à l’infini, le pathos et l’emphase lui sont permis et nécessaires : l’Humanité est comme une colonie de ces éphémères de l’Hypanis, dont on a écrit de si jolies fables ; et les fourmis elles-mêmes, pour leurs affaires politiques, peuvent emboucher la trompette de Corneille, proportionnée à leur bouche. Quant aux insectes amoureux, je ne crois pas que les figures de rhétorique dont ils se servent pour gémir leurs passions soient mesquines ; toutes les mansardes entendent tous les soirs des tirades tragiques dont la Comédie-Française ne pourra jamais bénéficier. La pénétration psychique de M. Cladel est très grande, c’est là sa forte qualité ; son art, minutieux et brutal, turbulent et enfiévré, se restreindra plus tard, sans nul doute, dans une forme plus sévère et plus froide, qui mettra ses qualités morales en plus vive lumière, plus à nu. Il y a des cas où, par suite de cette exubérance, on ne peut plus discerner la qualité du défaut, ce qui serait excellent si l’amalgame était complet ; mais malheureusement, en même temps que sa clairvoyance s’exerce avec volupté, sa sensibilité, furieuse d’avoir été refoulée, fait une subite et indiscrète explosion. Ainsi, dans un des meilleurs passages du livre, il nous montre un brave homme, un officier plein d’honneur et d’esprit, mais vieux avant l’âge, et livré par d’affaiblissants chagrins et par la fausse hygiène de l’ivrognerie aux gouailleries d’une bande d’estaminet. Le lecteur est instruit de l’ancienne grandeur morale de Pipabs, et ce même lecteur souffrira