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tristes. M. Cladel à qui la drôlerie, non plus que la tristesse, ne manque pas, raconte avec une solennité artistique des faits déplorablement comiques. Murger glisse et fuit rapidement devant des tableaux dont la contemplation persistante chagrinerait trop son tendre esprit. M. Cladel insiste avec fureur ; il ne veut pas omettre un détail, ni oublier une confidence ; il ouvre la plaie pour la mieux montrer, la referme, en pince les lèvres livides, et en fait jaillir un sang jaune et pâle. Il manie le péché en curieux, le tourne, le retourne, examine complaisamment les circonstances, et déploie dans l’analyse du mal la consciencieuse ardeur d’un casuiste. Alpinien, le principal martyr, ne se ménage pas ; aussi prompt à caresser ses vices qu’à les maudire, il offre, dans sa perpétuelle oscillation, l’instructif spectacle de l’incurable maladie voilée sous le repentir périodique. C’est un auto-confesseur qui s’absout et se glorifie des pénitences qu’il s’inflige, en attendant qu’il gagne, par de nouvelles sottises, l’honneur et le droit de se condamner de nouveau. J’espère que quelques-uns du siècle sauront s’y reconnaître avec plaisir.

La disproportion du ton avec le sujet, disproportion qui n’est sensible que pour le sage désintéressé, est un moyen de comique dont la puissance saute à l’œil ; je suis même étonné qu’il ne soit pas employé plus souvent par les peintres de mœurs et les écrivains satiriques, surtout dans les matières concernant l’Amour, véritable magasin de comique peu exploité. Si grand