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comme choses toutes naturelles, de façon à faire croire à des facultés ou à des notions d’un ordre particulier, et étrangères à notre monde.

Je rêve un jour que j’assiste dans la grande allée des Tuileries, au milieu d’une foule compacte, à l’exécution d’un général. Un silence respectueux et solennel règne dans l’assistance.

Le général est apporté dans une malle. Il en sort bientôt, en grand uniforme, tête nue, et psalmodiant à voix basse un chant funèbre.

« Tout à coup un cheval de guerre, sellé et caparaçonné, est aperçu caracolant sur la terrasse à droite, du côté de la place Louis XV.

« Un gendarme s’approche du condamné et lui remet respectueusement un fusil tout armé : le général ajuste, tire, et le cheval tombe.

« Et la foule s’écoule, et moi-même je me retire, intérieurement bien convaincu que c’était l’usage, lorsqu’un général était condamné à mort, que si son cheval venait à paraître sur le lieu de l’exécution et qu’il le tuât, le général était sauvé. »

Hoffmann n’eût pas mieux défini, dans sa manière courante, la situation anormale d’un esprit.

Les deux morceaux principaux, la Seconde Vie et l’Enfer du musicien, sont fidèles à la pensée mère du volume. Croire que vouloir, c’est pouvoir, prendre au pied de la lettre l’hyperbole du proverbe, entraîne un rêveur, de déception en déception, jusqu’au suicide. Par une grâce spéciale d’outre-tombe, toutes les facul-