Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/437

Cette page a été validée par deux contributeurs.

accidents ; mais il faut bien payer son bonheur. Un jour cependant, malgré tous les inconvénients de son délire volontaire et systématique, le bonheur, le vrai bonheur, s’offre à lui, voulant être accepté et ne se faisant pas prier ; cependant il faudrait, pour le mériter, satisfaire à une toute petite condition, c’est-à-dire avouer un mensonge. Démolir une fiction, se démentir, détruire un échafaudage idéal, même au prix d’un bonheur positif, c’est là un sacrifice impossible pour notre rêveur ! Il restera pauvre et seul, mais fidèle à lui-même, et s’obstinera à tirer de son cerveau toute la décoration de sa vie.

Un grand talent dans M. Asselineau, c’est de bien comprendre et de bien rendre la légitimité de l’absurde et de l’invraisemblable. Il saisit et il décalque, quelquefois avec une fidélité rigoureuse, les étranges raisonnements du rêve. Dans des passages de cette nature, sa façon sans façon, procès-verbal cru et net, atteint un grand effet poétique. Je citerai pour exemple quelques lignes tirées d’une petite nouvelle tout à fait singulière, la Jambe.

« Ce qu’il y a de surprenant dans la vie du rêve, ce n’est pas tant de se trouver transporté dans des régions fantastiques, où sont confondus tous les usages, contredites toutes les idées reçues ; où souvent même (ce qui est plus effrayant encore) l’impossible se mêle au réel. Ce qui me frappe encore bien davantage, c’est l’assentiment donné à ces contradictions, la facilité avec laquelle les plus monstrueux paralogismes sont acceptés