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est allumé par un enthousiasme dévorant pour les Hellènes, ce despote de l’héroïsme qui veut mouler et moule sa famille à son image, est plus qu’intéressant ; il est touchant ; il enlève l’âme en lui faisant honte de sa lâcheté journalière. L’absence de niveau entre ce nouveau Don Quichotte et l’âme du siècle produit un effet certain de comique attendrissant ; quoique, à vrai dire, le rire provoqué par une infirmité sublime soit presque la condamnation du rieur ; et le Sancho universel, dont le maniaque magnanime est entouré, n’excite pas moins de mépris que le Sancho du roman. — Plus d’une vieille femme lira avec sourire, et peut-être avec larmes, le Roman d’une dévote, un amour de quinze ans, sans confidente, sans confidence, sans action, et toujours ignoré de celui qui en est l’objet, un pur monologue mental.

Le Mensonge représente sous une forme à la fois subtile et naturelle la préoccupation générale du livre, qui pourrait s’appeler : De l’Art d’échapper à la vie journalière. Les seigneurs turcs commandent quelquefois à nos peintres des décors représentant des appartements ornés de meubles somptueux, et s’ouvrant sur des horizons fictifs. On expédie ainsi à ces singuliers rêveurs un magnifique salon sur toile, roulé comme un tableau ou une carte géographique. Ainsi fait le héros de Mensonge ; et c’est un héros bien moins rare qu’on le pourrait croire. Un mensonge perpétuel orne et habille sa vie. Il en résulte bien dans la pratique de la vie quotidienne quelques cahots et quelques