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c’est un livre interrogant, posant des cas de complexité sociale, d’une nature terrible et navrante, disant à la conscience du lecteur : « Eh bien ? Qu’en pensez-vous ? Que concluez-vous ? »

Quant à la forme littéraire du livre, poëme d’ailleurs plutôt que roman, nous en trouvons un symptôme précurseur dans la préface de Marie Tudor, ce qui nous fournit une nouvelle preuve de la fixité des idées morales et littéraires chez l’illustre auteur :

« … L’écueil du vrai, c’est le petit ; l’écueil du grand, c’est le faux… Admirable toute-puissance du poëte ! Il fait des choses plus hautes que nous, qui vivent comme nous. Hamlet, par exemple, est aussi vrai qu’aucun de nous, et plus grand. Hamlet est colossal, et pourtant réel. C’est que Hamlet, ce n’est pas vous, ce n’est pas moi, c’est nous tous. Hamlet, ce n’est pas un homme, c’est l’Homme.

« Dégager perpétuellement le grand à travers le vrai, le vrai à travers le grand, tel est donc, selon l’auteur de ce drame, le but du poëte au théâtre. Et ces deux mots, grand et vrai, renferment tout. La vérité contient la moralité, le grand contient le beau. »

Il est bien évident que l’auteur a voulu, dans les Misérables, créer des abstractions vivantes, des figures idéales dont chacune, représentant un des types principaux nécessaires au développement de sa thèse, fût élevée jusqu’à une hauteur épique. C’est un roman construit en manière de poëme, et où chaque personnage n’est exception que par la manière hyperbolique