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à l’amour sensuel, dans ces strophes d’une mélancolie si voluptueuse et si mélodieuse, on entend, comme l’accompagnement d’un orchestre, la voix profonde de la charité. Sous l’amant, on sent un père et un protecteur. Il ne s’agit pas ici de cette morale prêcheuse qui, par son air de pédanterie, par son ton didactique, peut gâter les plus beaux morceaux de poésie, mais d’une morale inspirée qui se glisse, invisible, dans la matière poétique, comme les fluides impondérables dans toute la machine du monde. La morale n’entre pas dans cet art à titre de but. Elle s’y mêle et s’y confond comme dans la vie elle-même. Le poëte est moraliste sans le vouloir, par abondance et plénitude de nature.

Il y a ici une seule ligne qu’il faut changer ; car dans les Misérables la morale entre directement à titre de but, ainsi qu’il ressort d’ailleurs de l’aveu même du poëte, placé, en manière de préface, à la tête du livre :

Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine… tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.

« Tant que… ! » Hélas ! autant dire Toujours ! Mais ce n’est pas ici le lieu d’analyser de telles questions. Nous voulons simplement rendre justice au merveilleux talent avec lequel le poëte s’empare de l’attention publique et la courbe, comme la tête récalcitrante d’un